Le second Antonov 225

L’Antonov 225 “Mriya” est unique à bien des égards : c’est le plus lourd et sans doute le plus grand avion en service au monde, il détient des centaines de records grâce à son immense capacité de chargement et il n’existe que sous la forme d’un exemplaire unique immatriculé UR-82060.

Il n’a jamais été destiné à être produit en série, étant lui-même une version fortement agrandie de l’Antonov An-124 Ruslan. Destiné à l’origine pour transporter les navettes spatiales du programme spatial soviétique, le Mriya a été ressuscité en tant que cargo pour les cargaisons extra-larges à la fin des années 1990 et est actuellement le fleuron d’Antonov Airlines. Depuis sa remise en service, l’avion a transporté des équipements volumineux et variés tels que des éoliennes, des wagons de train, des chars de combat et bien d’autres charges de grands gabarits à travers le monde. Ce faisant, il suscite un véritable culte parmi les passionnés d’aviation qui se pressent par milliers autour des aéroports où il est attendu.

Il existe également un fait qui n’est pas aussi connu du grand public mais qui occupe sans aucun doute une place importante dans le cœur de chacun de ces passionnés : le second An-225 toujours stocké dans son hangar. Un avion jumeau qui est toujours au stade d’assemblage depuis l’achèvement du premier. Selon les mémoires d’Anatoly Vovnyanko, l’un des ingénieurs qui a travaillé sur l’avion, celui-ci n’était pas censé pouvoir voler, mais uniquement servir à des expériences statiques. Son fuselage massif en titane était terminé, mais presque rien d’autre n’a été fait, l’assemblage s’étant complètement arrêté au début des années 90.

Quelques travaux supplémentaires ont été effectués au début des années 2000 et comme Antonov l’affirme dans tous ses discours de vente, l’avion est terminé à 70 %. Pourtant, ces 30% supplémentaires sont cruciaux : moteurs, avionique, hydraulique, cabine, train d’atterrissage. Certains de ces composants étaient interchangeables avec l’An-124, mais d’autres ne l’étaient pas. Pour que l’avion soit finalisé beaucoup de travail doit être encore effectué et beaucoup d’argent doit être investi.

Le montant que la société propose aux différents investisseurs varie chaque année, en fonction de l’inflation de la hryvnia ukrainienne ¹, du marché du fret et de l’état général de l’économie. Des chiffres allant de 80 à 380 millions d’euros sont souvent avancés, en précisant à chaque fois que le coût ne comprend que l’utilisation des technologies déjà existantes sur l’ancien An-225, qui datent des années 80. Une nouvelle avionique, de nouveaux moteurs ou même de nouveaux équipements de communication augmenteraient encore le prix.

Alors que l’assemblage du second An-225 se poursuivait à une époque où l’Union Soviétique s’effondrait nombreux sont ceux qui avaient compris l’atout que représentait ce second exemplaire. En effet, le transport de la navette spatiale soviétique Bourane n’était pas la seule finalité de l’An-225. En même temps que la navette Bourane était mise au point, un avion spatial plus petit avait été aussi développé. Il était destiné à un lancement depuis un An-325 en vol à la manière de la configuration du Stratolaunch de Scaled Composites. L’An-325 était une variante dédiée à cette fonction de l’An-225 comme visible sur la photo ci-dessous avec une marquette en souflerie d’un An-325 portant un avion spatial. Le programme s’appelait MAKS² et comme on pouvait s’y attendre, il a été annulé avec la chute de l’URSS le 25 décembre 1991.

Depuis de nombreux autres programmes ont vu le jour, visant principalement à exploiter la capacité du Mriya à larguer en vol une cargaison fixée à l’extérieur. Des entreprises russes, allemandes et britanniques ont brièvement envisagé d’utiliser l’An-225 et Antonov a même réussi à obtenir des fonds pour achever le deuxième Mriya pour des ambitions purement spatiales. En 1993, les ailes inachevées du géant ont été transférées de Tachkent à Kiev mais les travaux n’ont pas progressé davantage. Depuis lors, le fuselage de l’avion ave ses ailes détachées sont stockés dans l’un des hangars d’Antonov. De temps à autre lorsque l’espace à l’intérieur est nécessaire pour des réparations urgentes ou d’autres tâches les techniciens sortent l’énorme fuselage qui est déplacé ailleurs dans les installations du constructeur.

Alors que le premier Mriya était en cours de rénovation en 2000, des travaux sur le second exemplaire étaient observés laissant penser à une repirse de l’assemblage. Mais en fait il ne s’agissait que de travaux pour maintenir le fuselage à l’abri d’une dégradation. Les premières informations concrètes sur les intentions d’Antonov ne sont apparues qu’une décennie plus tard. En 2010, un communiqué de presse a été publié par le constructeur, affirmant que la société ukrainienne allait défier l’Airbus A380, le plus grand avion de ligne du monde. Une version passagers de l’An-225 devrait être fabriquée prochainement offrant une capacité comprise entre 605 et 715 sièges. Pour mettre au point cette version de transport civil Antonov était bien décidé à utiliser le second exemplaire.

Ce projet, qui n’était qu’un parmi d’autres non réalisés pour pénétrer le marché des superjumbos à l’époque, a été finalement avorté par Antonov. Néanmoins, il a eu le mérite de rappeler au monde l’existence de cet avion inachevé. En 2011, la possibilité de le vendre à la Russie a été évoquée lors d’une visite du ministre russe de la défense, Anatoly Serdiukov, qui aurait été intéressé par son acquisition pour des besoins militaires ou commerciaux. A cette époque des communiqués de presse d’Antonov ont commencé à mentionner de plus en plus ce send exemplaire et parfois dans des contextes tout à fait inattendus.

Le 1er avril 2013, la société Antonov a annoncé que l’avion serait transformé en transporteur VIP et deviendrait le nouvel avion présidentiel russe. On suppose que lors du salon aéronautique MAKS 2011 des discussions ont eu lieu pour adapter l’An-124 à cette fin mais le président Vladimir Poutine l’a jugé trop petit. Mais l’An-225 aurait pu pour sa part avoir la bonne taille. Cependant de nombreux observateurs ont fait remarquer que la dimension hors norme de l’avion limiterait le nombre de destinations accessibles et que cette idée restait une proposition farfelue.

Il faudra attendre 2016 pour que des premières discussions sérieuses concernant la restauration du deuxième Mriya commencent. En août de cette là, un protocole d’accord a été signé entre Antonov et AICC, filiale basée à Hong Kong de l’Aviation Industry Corporation of China (AVIC), avec l’intention de “marier le Mriya et la Chine”, selon les termes de la presse chinoise du moment. Le plan chinois prévoyait deux étapes : d’abord, la société financerait la reprise des travaux sur l’An-225 inachevé dans les installations d’Antonov et acquerrait les droits de production sous licence. Puis dans un second temps, la plus grande usine de fabrication d’avions au monde serait construite dans les provinces du Sichuan et du Guangxi dans le but de produire en masse des An-225 et des Аn-178 plus petits.

Les détails de l’accord âprement négociés sont cependant restés confidentiels. Aucune des partie n’a fait état des sommes en jeu mais ils étaient estimés à plusieurs milliards de dollars. La partie chinoise s’est vantée que l’accord comprenait l’acquisition de la documentation technique et les droits intellectuels de l’avion alors qu’Antonov dans le même temps a nié ces revendications et a expliqué que les Mriyas chinois ne pourraient être fabriqués que sous licence.

La raison pour laquelle la Chine était intéressée par un tel projet a fait l’objet de nombreuses questions. Toutes sortes de spéculations allant d’une intention d’utiliser l’avion à des fins purement militaires à un montage financier afin de blanchir de l’argent de la corruption. L’une des versions les plus réalistes, une fois encore, concernait le domaine du spatial. Des arguments assez convaincants ont été avancés, selon lesquels la Chine était intéressée par les capacités de lancement aéroporté de l’An-225 et achetait l’avion pour son programme spatial en plein essor. D’autres arguments ont avancé la possibilité que la Chine n’était pas intéressée par l’An-225 en soi mais voulait juste d’approprier sur le savoir-faire technique dans le domaine de la construction de grands avions.

Quelle qu’ait pu être l’intention réelle, elle ne s’est jamais concrétisée. L’AICC s’est dissoute l’année suivant la signature du mémorandum et Antonov n’a plus jamais fait mention de cet accord. Pas plus qu’aucune autre discussion officielle n’a eu lieu entre les Ukrainiens et les Chinois.
Il existe de nombreuses versions des raisons de l’échec du projet sino-ukrainien, toutes plus farfelues les unes que les autres. Certains affirment que la société chinoise s’est retirée en raison des difficultés de transport du second Mriya ; d’autres affirment qu’il a été écarté en raison de l’absence d’aéroports appropriés en Chine. Aucune de ces versions ne semble réaliste et les véritables raisons pourraient rester à jamais inconnues.

Après l’échec des pourparlers avec la Chine il n’y a plus eu d’annonces concernant le développement du second An-225, du moins jusqu’en 2019, lorsque les employés d’Antonov ont commencé à parler de la recherche de fonds par la société pour terminer l’avion. Il ne s’agissait cependant pas d’informations officielles mais des plusieurs interviews informelles accordées à la presse spécialisée générant beaucoup de spéculations. Mais en 2020, la situation a changé.

Tout d’abord, en avril 2020, le PDG d’Antonov, Oleksander Donets, a déclaré que la finition de l’avion n’était pas viable économiquement car l’entreprise ne récupérerait jamais ses investissements. Sachant que la construction coûterait plus de 400 millions de dollars et que l’unique avion actuel effectue environ 20 opérations par an pour un coût moyen d’un million de dollars chacune, avec vraisemblablement une marge bénéficiaire plutôt mince, le résultat du calcul est sans appel. Néanmoins, Donets a admis que la seule façon de rendre l’avion rentable est de le faire fonctionner conformément à l’un de ses objectifs principaux donc en tant que plate-forme de lancement aéroportée. Mais avec l’échec du Stratolaunch de Scaled Composites ainsi que la baisse du prix du transport par fusée conventionnelle, un tel développement reste économiquement très discutable.

Certaines personnes ont cependant voulu remettre en question cette idée pessimiste. En effet à la fin de l’année 2020, une série de pourparlers de haut niveau entre l’Ukraine et la Turquie a débouché sur des accords de coopération industrielle sans précédent, qui comprenaient une importante composante de défense. La question du deuxième An-225 a été soulevée. Le président turc Recep Tayyip Erdoğan semblait s’y intéresser personnellement. “Malgré la somme de ce que cela coûterait, la partie turque a dit qu’elle était toujours déterminée à en discuter davantage”, a déclaré le ministre ukrainien des industries stratégiques. Aucune information n’a été fournie sur la raison d’un tel intérêt, mais l’intention de la Turquie d’acquérir de gros avions cargo pour son industrie de la défense est établie depuis un certain temps. Il est possible que cet attention pour l’An-225 soit le mélange d’un besoin réel et d’une bienveillance envers l’Ukraine.

Dans le même temps, l’opinion chez Antonov a également changé. Au début de l’année 2021, Sergyi Bychkov, le nouveau PDG, a déclaré qu’il était certain que le deuxième avion serait terminé, revenant ainsi sur la position antérieure de la société. Quelques jours plus tard, Yuriy Husyev, PDG de l’entreprise publique UkrOboronProm, à laquelle Antonov appartient, a déclaré que l’entreprise n’était pas seulement ouverte aux investissements mais qu’elle en recherchait activement. L’entreprise participait à Aero India 2021, le plus grand salon aéronautique indien, et le seul d’une telle ampleur à se produire depuis le début de la pandémie. Selon Husyev, les Ukrainiens étaient là pour chercher des investisseurs qui seraient intéressés par l’An-225 inachevé.

Si cela signifie sans aucun doute que l’offre turque n’est plus d’actualité c’est aussi la première fois qu’Antonov affiche autant de volonté sur la question depuis le début des années 90. Quelle que soit l’issue des pourparlers en Inde, il est clair qu’à partir de maintenant, la possibilité de voir la renaissance du deuxième géant pourrait être plus proche que jamais.

	An-124	An-225	C5 Galaxy	B747-8F
longueur	69,1 m	84 m	75, 85 m	76,3 m
envergure	73,3m	88,40 m	67,90 m	68,40 m
hauteur	21,1 m	18,10 m	19,85 m	19,40 m
MTOW	392 t	640 t	450 t	447 t
Moteurs	4 x D-18T	6 x D-18T	4 x GE CF6-80C2	4 x GEnx-2B67
Vitesse croisère	850 km/h	800 km/h	850 km/h	900 km/h
rayon d'action	120 t : 4 800 km 80 t : 8 400 km Max : 15 700 km	200 t : 4 000 km Max : 15 400 km	127 t : 4 260 km 54 t : 8 900 km Max : 13 000 km	140 t : 8 130 km Max : 14 320 km

(1) : 1 hryvnia = 0,03 euro

(2) : Le système aérospatial MAKS (en russe : МАКС, pour « Многоцелевая Авиационно-Космическая Система », signifiant « Système aérospatial multi-usages/polyvalent ») était un projet soviétique d’engin spatial à deux étages lancé depuis un avion, dont le développement débuta en 1988 mais fut annulé en 1991.

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